mardi 12 février 2008

Historique

Je viens de vivre un moment historique. Ce matin, le nouveau gouvernement australien vient de demander pardon a la Generation Volee.

La Generation Volee fait reference aux milliers d'enfants aborigenes que le gouvernement australien a enleve a leur famille sous pretexte qu'ils devaient etre mieux assimiles. Entre le debut du siecle et jusque dans les annees 1970 (!!), des policiers et autres travailleurs sociaux venaient dans les villages aborigenes kidnapper les enfants, les envoyer dans des centres ou des missions religieuses loin de chez eux ou ils etaient formes au travail domestique ou a la ferme, puis ont les envoyait travailler pour des blancs ou ils etaient traites comme des esclaves et tres souvent maltraites et violes. Ils n'avaient jamais de nouvelles de leur famille, ne savaient pas d'ou ils venaient et beaucoup d'entre eux cherchent encore leurs racines. Outre cette politique d'assimilation, on encourageait aussi la reproduction entre hommes blancs et femmes aborigenes pour 'blanchir la race', ce qui devait etre effectif au bout de cinq ou six generations. Coupes de leur environnement, les enfants perdaient aussi leur heritage culturel et c'est ainsi qu'on entendait regler 'le probleme aborigene'. Je ne m'etends pas sur les nombreuses autres atrocites commises envers ce peuple depuis l'arrivee des colons qui surpassent tout ce que j'avais entendu sur l'esclavage aux Etats-Unis par exemple.

Le resultat de ces politiques aujourd'hui est que les aborigenes ont un taux de mortalite infantile aussi eleve voire plus que dans les pays du tiers monde, une esperance de vie de 17 ans plus courte que les autres australiens, sans parler d'un taux de chomage impressionnant, des problemes d'alcool et de drogues dignes des reserves d'indiens aux Etats-Unis, que la vie dans la plupart de leurs communautes est ultra-violente et que la pedophilie bat son plein. Le tableau est horrible et certains australiens disent qu'ils ne sont pas capables de s'occuper d'eux-memes. Il faut se souvenir et prendre en compte qu'il y a 200 ans (ce qui est tres peu), ils n'avaient encore jamais vus de blancs et vivaient comme ils l'avaient toujours fait depuis 70 000 ans (c'est la plus vieille culture encore vivante aujourd'hui). Il est aussi important de realiser que ces pratiques avaient encore cours il y a une trentaine d'annees, c'est-a-dire qu'elles ont ete subies par des gens de ma generation! Difficile en si peu de temps de se remettre de tels traumatismes.

Les aborigenes, apres avoir obtenu la nationalite australienne, et donc une existence legale, en 1967..., ont toujours demande des excuses au gouvernement. Alors que le pays celebrait le 200eme anniversaire de l'arrivee de la premiere flotte de colons en 1788, des aborigenes sont venus officiellement donner une liste de revendications au premier ministre, John Howard, la plus importante etant la reconnaissance des torts commis a leur encontre. Il a refuse, arguant que le gouvernement australien n'avait pas a se sentir coupable des fautes commises par ses ancetres. John Howard (liberal, de droite) a passe douze ans a la tete de l'etat et vient d'etre battu par Kevin Rudd (travailliste, de gauche) en decembre. Aujourd'hui Kevin Rudd, dans un long discours au Parlement, a officiellement demande pardon aux aborigenes, a longuement parle de ce qui s'etait passe, en soulignant que le gouvernement australien, par les lois qu'il a passees et sa volonte de les faire appliquer, etait responsable du traumatisme que les aborigenes subissent encore aujourd'hui.

Ce discours a ete retransmis en direct dans les ecoles, des ecrans geants ont ete montes dans les principales villes d'Australie et meme l'opposition a egalement demande pardon (meme si le leader a quand meme dit que tout cela partait de bonnes intentions et que c'etait injuste mais necessaire, ce qui a provoque la colere de la foule). Rudd a insiste sur le fait qu'il fallait maintenant que des actions soient prises pour aider les communautes aborigenes a s'en sortir et a retrouver leur famille quand c'est possible. Une commission presidee par lui et le leader de l'opposition va etre mise en place, nous verrons ce qu'il en sera.

En tout cas, apres des annees de deni, la reconnaissance de ces atrocites sont un grand pas pour l'avenir de l'Australie et surtout pour l'ancrage d'une identite nationale. En effet, il est frappant de constater ici que les australiens ont du mal a se definir en tant que nation, d'une part a cause du fait qu'elle est constituee d'immigrants et que le processus d'immigration continue a grand rythme aujourd'hui, mais surtout parce que l'Australie s'est aussi construite dans le sang et qu'elle le nie. Pour ne vous donner qu'un exemple, l'editorial du journal principal en Australie le jour de la fete nationale le 26 janvier titrait "Qui sommes-nous?". L'article traitait de la difficulte a definir l'identite culturelle et concluait que ce qui definissait l'Australie etait d'avoir reussi a creer un pays issus de tant de cultures differentes sans massacre! Je n'en croyais pas mes yeux. Autant de deni devant le genocide aborigene et les milliers d'immigrants exploites et assassines pour construire ce pays ne me paraissait pas possible. Certains historiens ici disent qu'une des particularites de l'identite australienne est justement l'aveuglement. Je pensais que c'etait exagere, j'avais tort. Le discours d'aujourd'hui marque donc un tourant dans l'identite nationale, esperons que cela ait aussi des consequences concretes.